NI OUBLI NI PARDON PAS D’AGRESSION SANS RIPOSTE
meurtre de Pavlos Fyssas …
Le 18 septembre 2013, Yorgós Roupakiás ((Γιώργος Ρουπακιάς)) un militant d’Aube dorée poignarde à mort un militant antifasciste de 34 ans, le rappeur Pávlos Fýssas, à la sortie d’un bar dans la banlieue d’Athènes. Il est arrêté et reconnaît les faits.
De rapport témoin oculaire:. “Autour de 24:00 un groupe de 15-20 fascistes, portant des T-shirts noirs et des pantalons militaires et des bottes, a été déployé dans la rue P. Tsaldari Pendant ce temps, Pavlos se promenait avec sa petite amie et un autre couple quand il a été repéré par les fascistes en criant “ce que vous cherchez ici, vous savez qu’il n’y a pas de place pour vous ici”. les fascistes ont pourchassé les deux couples dans la rue P. Tsaldari vers l’avenue Gr. Lampraki, d’où d’une autre rue, un nouveau groupe d’environ 10 fascistes est sorti et a entouré les gars. a ce moment, une voiture a conduit vers lui par une rue à sens unique ; à l’arrêt, le conducteur est sorti et a poignardé Pavlos au cœur et dans l’abdomen
L’émotion populaire est forte et plusieurs milliers de manifestants se rassemblent pour protester contre cet assassinat politique. Le parti a nié toute implication dans les faits expliquant une « exploitation politique ».
Le 28 septembre 2013, Nikólaos Michaloliákos et quatre autres députés sont arrêtés par la police dans le cadre de cette enquête59,60.
Roupakias est arrêté le soir même et ses liens étroits avec Aube dorée sont rapidement mis à jour. Le militant néonazi est en effet employé, tout comme sa femme et sa fille, par la section locale du parti.
L’enquête policière s’oriente rapidement vers le parti néonazi Aube dorée, dont les locaux sont perquisitionnés dès le lendemain de l’assassinat. Le même jour, 5000 personnes, manifestent dans les rues de Keratsini.
Les obsèques de Fýssas, célébrées le 19 septembre 2013, rassemblent près de 2000 personnes.
Au cours de la semaine suivante, les manifestations antifascistes se multiplient tandis que l’enquête policière se poursuit. Le 27 septembre, les députés d’Aube dorée menacent de démissionner pour protester contre la mise en cause de leur parti dans la mort de Fýssas. Le samedi 28 septembre, le chef historique d’Aube dorée, Nikólaos Michaloliákos (Νικόλαος Μιχαλολιάκος), quatre autres députés et douze membres du parti sont arrêtés.
… puis éliminations de Giogios Foudoulis et d’Emmanuel Kapelonis en représailles
Le 1er novembre 2013, deux membres du parti (Emmanuel Kapelonis, 22 ans, et Giorgos Foudoulis, 27 ans) sont assassinés par un groupe « les Pouvoirs révolutionnaires combattants du peuple », en représailles de cet assassinat61.
1er novembre 2013, deux membres d’Aube dorée sont assassinés devant un local du parti à Athènes. Le double meurtre est revendiqué le 16 novembre par un groupe d’extrême gauche jusqu’alors inconnu, en représailles de l’assassinat de Pávlos Fýssas7.
Le procès de 69 membres d’Aube dorée, dont le chef Nikólaos Michaloliákos et Christos Pappas, qui devait se tenir à la prison de Korydallos, est suspendu dès le premier jour, le 20 avril 2015, et reporté pour des raisons de procédure au 7 mai. Les accusés sont soupçonnés d’être aux commandes d’une organisation criminelle. Parmi les accusés figurent les auteurs présumés du meurtre de Fýssas et de deux autres agressions : la tentative de meurtre de quatre pêcheurs égyptiens en juin 2012 et l’attaque de syndicalistes communistes en septembre 2013.
Un mois après le meurtre du rappeur Pavlos Fyssas, les autorités n’en finissent plus de démanteler le réseau criminel du parti d’extrême droite. Pourquoi le musicien, qui était grec, a-t-il été visé par les néonazis ? «Libération» a reconstitué les derniers jours de la victime.
- Grèce : comment Aube dorée a tué un rappeur
Sur le buffet du salon, les photos forment un petit autel à la mémoire du fils perdu : Pavlos au mariage de sa sœur, Pavlos en concert ou encore Pavlos adolescent. C’était un beau garçon, avec d’immenses yeux noirs, un joli sourire. «Un grand cœur surtout. Tout le monde s’attachait immédiatement à lui», murmure Magda, sa mère, hypnotisée par les images des jours heureux. «Je ne l’ai pas vu ce soir-là. Mais je voudrais tellement pouvoir remonter le temps, lui déconseiller de sortir, le retenir», chuchote-t-elle, la voix brisée. Derrière elle, Panagiotis, le père de Pavlos, ne réagit pas, muré dans sa douleur. Depuis le meurtre de leur fils, Magda et Panagiotis errent sans fin dans la pénombre de leur appartement de Keratsini, une banlieue populaire de l’ouest d’Athènes, juste à côté du Pirée. Incapables de se résoudre à ce drame, qui a «détruit notre famille», finit par lâcher Panagiotis, le regard éteint. Lui souhaiterait surtout qu’on «ne juge pas seulement l’assassin, mais qu’on remonte toute la chaîne, qu’on arrête et condamne tous ceux qui ont rendu ce meurtre possible».
Deux coups de couteau reçus en plein cœur ont fait de leur fils un symbole : celui de la dérive criminelle du parti d’extrême droite Aube dorée, entré pour la première fois au Parlement grec en 2012. Pavlos Fyssas, rappeur de 34 ans, aurait certainement préféré devoir sa célébrité à ses chansons. Il a fait la une des journaux grecs en martyr, poignardé dans la nuit du 17 au 18 septembre par des militants d’Aube dorée, une formation désormais ouvertement qualifiée de néonazie. La mort du jeune homme, un soir de match de foot dans une banlieue populaire, va déclencher en quelques jours un séisme politique et se transformer en affaire d’Etat. Pour la première fois depuis le retour de la démocratie, en 1974, l’état-major d’un parti représenté au Parlement se retrouve passible des plus graves poursuites pénales.
Un mystérieux arsenal de 4 000 armes
Depuis le 16 octobre, six députés d’Aube dorée ont perdu leur immunité parlementaire. Une semaine plus tard, les néonazis se sont vus privés du financement d’Etat accordé à toutes les formations représentées au Parlement. Le leader du parti, Nikos Michaloliakos, dort en prison depuis le 30 septembre avec deux de ses lieutenants, accusés de «participation à une organisation criminelle», le délit le plus lourd pour lequel peuvent être poursuivis des parlementaires, dans un pays où la Constitution ne permet pas d’interdire une formation politique. Le coup de filet des autorités s’est également étendu aux forces de l’ordre : plusieurs policiers ont été arrêtés, certains de leurs chefs poussés à la démission, parmi lesquels rien de moins que le directeur adjoint des services secrets. Ils sont soupçonnés d’avoir, au mieux, fermé les yeux sur les activités des néonazis grecs, qui ne se contentaient pas de collectionner les posters de Hitler et les casques des Waffen-SS dans l’intimité de leur domicile. Ceux-ci sont en effet soupçonnés d’être mêlés à divers rackets et réseaux de prostitution, et d’avoir organisé des camps de vacances paramilitaires où l’on promettait aux jeunes recrues d’«entrer un jour au Parlement avec les tanks», comme l’aurait confié un repenti aux juges chargés de l’enquête sur le meurtre de Pavlos Fyssas. La police recherche d’ailleurs toujours un mystérieux arsenal de 4 000 armes qu’Aube dorée aurait caché quelque part dans le pays, selon les confidences d’un ancien militaire britannique.
Il aura donc fallu la mort d’un jeune rappeur pour faire tomber les masques ? Après le crime, nombreux sont ceux qui ont souligné l’importance de ce «mort de trop» qui aurait réussi à réveiller l’opinion et les autorités. Car Pavlos Fyssas était grec, contrairement aux précédentes victimes d’Aube dorée, quasi exclusivement des immigrés. Mais cela ne répond pas à la question essentielle : comment Aube dorée, ce parti qui se prétend farouchement nationaliste, réservé «aux seuls Grecs de souche», a-t-il pu franchir ce pas de trop et assassiner un jeune Grec en pleine rue ? Qui a réellement guidé la main du meurtrier, un camionneur de 45 ans, père de deux enfants, à l’allure plus que banale, et qui avait en principe tout à perdre en s’impliquant dans un crime ?
En réalité, il s’en est fallu de peu pour que personne ne s’intéresse au meurtre de Pavlos et que son assassinat reste une affaire locale, vite classée sans suite. C’est le soir du crime que le scénario a dérapé. Grâce au réflexe inattendu d’une policière. Ce 17 septembre, Pavlos retrouve sa petite amie, Chryssa, et quelques copains pour aller voir la rencontre entre l’Olympiakos et le Paris-Saint-Germain. Comme tous les jeunes de la région du Pirée, Pavlos est un supporteur d’Olympiakos, prêt à hurler au moindre penalty raté. «Ils sont arrivés juste avant le début du match. Je m’en rappelle très bien car je connaissais Pavlos de vue, même si je ne savais pas qu’il était rappeur. Pour moi, c’était juste un jeune du quartier, confie le patron du Coralie Café, un bar de Keratsini dont la terrasse couverte dispose d’un grand écran plat. Pendant la rencontre, rien à signaler : Pavlos et sa bande buvaient des bières, l’ambiance était assez animée, comme à chaque fois que l’Olympiakos joue. Mais sans aucun débordement.» Lui affirme ne pas avoir remarqué les deux ou trois types (les versions divergent) qui, selon certains témoins, auraient envoyé des SMS en observant Pavlos pendant le match. «Ce n’est qu’à la fin de la soirée, quand tout le monde sortait du café, que j’ai aperçu moi aussi cette bande, surgie de nulle part, sur le trottoir d’en face», poursuit le patron.
«Il s’est retrouvé seul face à eux»
Une vingtaine d’hommes déjà échaudés commencent alors à interpeller le rappeur et ses amis, qui traînent encore dans la rue. Que se passe-t-il ensuite ? Le groupe de Pavlos décide de quitter les lieux en remontant vers la rue Tsaldari, une grande avenue commerciale située un peu plus haut. Vraisemblablement un peu inquiet, Pavlos aurait alors conseillé à ses camarades de partir en courant. «Il s’est retrouvé seul face à eux. C’est tout à fait son style : sans être bagarreur, il n’aimait pas montrer qu’il avait peur. Il répétait qu’on peut toujours raisonner les gens», soupire son père, Panagiotis.
Très vite, le ton monte. Trois hommes se détachent du groupe et se rapprochent de Pavlos, le bousculent. Restée en retrait, Chryssa, sa petite amie, voit tout et s’alarme. Elle tente d’alerter un groupe de policiers qui, curieusement, observent passivement la scène à distance. En vain. Elle les supplie encore, lorsqu’une voiture arrive soudain en trombe et s’arrête pile devant l’attroupement. Un homme en sort, saisit Pavlos comme s’il voulait l’embrasser et lui plante deux coups de couteau en plein cœur. Avant de s’effondrer, le jeune homme a juste le temps de montrer son meurtrier aux policiers qui ont fini par se rapprocher.
Un stage pour apprendre «à trancher une carotide»
C’est à ce moment-là que, rompant avec l’inertie de ses collègues, une policière sort soudain son arme, la braquant sur l’assassin. Lequel semblait tellement certain de son impunité qu’il s’attardait encore dans sa voiture après avoir jeté le poignard dans le caniveau. «Sans le courage de cette policière qui a arrêté le meurtrier, on en serait encore à spéculer sur les causes d’un meurtre jamais revendiqué. Et certains affirmeraient toujours qu’il s’agit juste d’une bagarre d’après-match qui a mal tourné», souligne le célèbre journaliste Pavlos Tsimas de Mega TV, la principale chaîne privée.
Dans un premier temps, c’est d’ailleurs la version qui s’impose : une embrouille entre jeunes de banlieue liée au foot. Mais la justice découvre très vite que Georges Roupakias, le meurtrier arrêté, est membre d’Aube dorée. Et l’examen de son portable révèle qu’il a appelé plusieurs responsables du parti, juste avant et juste après le crime. «Georges était à la maison, on l’a appelé et il est sorti tout de suite», confessera sa femme.
Georges Roupakias a-t-il également fait partie de ces recrues envoyées en stage pour apprendre «à trancher une carotide», comme l’ont révélé aux juges plusieurs transfuges d’Aube dorée, qui évoquent aussi «un véritable catéchisme de la haine» ? Encarté depuis seulement un an, il était payé par le parti et apparaît sur plusieurs photos prises lors des rassemblements organisés par les néonazis, malgré les dénégations initiales des chefs d’Aube dorée, qui ont d’abord affirmé ne pas le connaître. Ces derniers vont être, eux aussi, rapidement interpellés. Grâce aux dossiers détenus par les services secrets grecs, qui les avaient placés sur écoute depuis longtemps.
Coïncidence du meurtre et d’une manifestation
On peut s’en féliciter. Mais certains commentateurs ont fait part de leur trouble : ainsi la police avait sous le coude de quoi les coffrer depuis longtemps… Pourquoi, alors, n’a-t-elle pas agi plus tôt ? «Aube dorée a longtemps joué un rôle bien commode. Ce parti est devenu populaire en se déclarant “antisystème”, opposé à la classe politique traditionnelle que tout le pays déteste. Mais ce n’est qu’une apparence. Au Parlement, Aube dorée a toujours voté comme le gouvernement : pour les licenciements, les privatisations, les baisses de salaire. Même topo pour ses agressions contre les étrangers : elles permettaient aussi de justifier ou minimiser l’impact des politiques contre l’immigration. La nuit, Aube dorée orchestrait des pogroms ; le jour, le gouvernement encourageait les rafles et les emprisonnements des migrants dans des camps où les conditions de vie sont inhumaines, explique dans son bureau du centre d’Athènes Dimitri Zotas, avocat de plusieurs immigrés victimes du parti néonazi. Le problème, c’est qu’Aube dorée a fini par échapper à ses démiurges. Forts de leur popularité en hausse, à près de 15% à la veille du meurtre de Pavlos, jamais inquiétés pour leurs agressions contre les immigrés, les néonazis se sont sentis invulnérables. Ils ont cru qu’ils pouvaient aller encore plus loin, peut-être trop loin.»
Mais pour ce militant des droits de l’homme, le sursaut des autorités et le gigantesque coup de filet qui a suivi le meurtre tiennent à une coïncidence : «L’assassinat de ce jeune homme a eu lieu en plein mouvement social. Le 18 septembre, le jour où le drame est connu, une immense manifestation était prévue dans le centre d’Athènes. Elle va se déplacer à Keratsini, où il n’y a jamais eu autant de monde dans la rue. Le gouvernement a compris tout de suite qu’il y avait un risque de convergence entre la contestation sociale et l’émotion suscitée par ce crime. Et c’est pour éviter des émeutes, comme celles qui ont enflammé Athènes en 2008 après la mort d’un manifestant de 15 ans, qu’ils se sont décidés à casser cette alliance implicite avec les néonazis», croit savoir l’avocat.
Le jeune manifestant tué par un policier en 2008 s’appelait Alexis Grigoropoulos. Pavlos Fyssas lui avait dédié une chanson, sans savoir qu’il le rejoindrait au panthéon des jeunes martyrs victimes de la violence. Mais, d’ailleurs, pour quelle raison précisément le rappeur est-il devenu un martyr ? En écoutant les paroles de ses chansons, on peut être intrigué. Il y est certes question d’intolérance et de forces obscurantistes. Mais rien qui évoque directement Aube dorée. Les paroles sont bien plus virulentes lorsqu’il dénonce les effets dévastateurs de la crise pour une jeunesse privée d’avenir, ou lorsqu’il se propose de «baiser» Angela Merkel dans son dernier titre. Alors, pourquoi Aube dorée aurait-il fait de ce jeune homme, qui n’appartenait à aucun parti et n’était pas non plus une star du hip-hop, une cible à abattre ? «Entre deux chansons évoquant vaguement les dangers du fascisme, Pavlos en composait quatre sur les gonzesses ou la crise», confirme son ami d’enfance Petros Poundivis.
Ce géant, qui ressemble à un Mister T. grec, est lui aussi rappeur, membre du groupe PsyClinic TactiX. Mais c’est d’abord un ouvrier. Comme le fut Pavlos. Avant d’envisager une carrière artistique, les deux garçons se sont cassé le dos comme leurs pères aux chantiers navals de Perama, la grande zone portuaire industrielle d’Athènes, qu’on appelle précisément «la Zone». Un vaste périmètre fermé où des entrepôts aux murs tagués longent les quais face à quelques cargos rouillés. «Pavlos a décroché au bout de cinq ans. C’est un boulot très dur, les accidents sont fréquents. Mais il s’est toujours considéré comme un enfant de la classe ouvrière. Il refusait d’appartenir à un parti, mais son nom figure toujours sur la liste des membres du Syndicat des métallos. Ici, il était très populaire, c’était une grande gueule, toujours prêt à l’ouvrir pour défendre les victimes de la crise dans le quartier, et c’est pour ça qu’on l’a tué», assène Petros.
Lourdement frappée par la crise, la Zone reste le dernier bastion rouge dans une région où les néonazis gagnent chaque jour du terrain. Perama, Nikaia, Keratsini : les quartiers de la région du Pirée ont été dévastés par six ans de cure d’austérité. «Le démantèlement des services publics, les licenciements massifs ont poussé les gens au stade de la survie. Un quart des foyers de Perama n’ont plus l’électricité, car ils n’ont plus les moyens de la payer. Alors, forcément, certains se montrent sensibles aux sirènes d’un parti qui crie “tous pourris”, désigne les immigrés comme responsables et distribue des conserves et des pâtes…» soupire Petros. Reste donc la Zone, tenue depuis toujours par PAME, le syndicat proche du parti communiste KKE, qui continue à résister aux pressions patronales. «Ils font le forcing au nom de la crise et veulent abolir les conventions collectives, nous réduire à des salaires du niveau de l’Inde. Entre eux et nous, c’est la guerre», souligne encore Petros.
Trois jours avant le meurtre du rappeur, un incident a frappé les esprits : le soir du 14 septembre, des militants communistes de la Zone se trouvent sur la bien nommée avenue de la Démocratie. Ils collent des affiches pour annoncer un festival, lorsqu’ils sont soudain attaqués par une cinquantaine de membres d’Aube dorée. «C’était très impressionnant. Ils ont débarqué en colonnes, de toutes les rues adjacentes, armés de gourdins et de pieux. Deux flics à moto étaient là aussi, un peu à l’écart. Ils n’ont pas bougé lorsque les pierres et les coups de bâton se sont abattus sur nous», explique Sotiris Poulikogiannis, un quadragénaire énergique qui dirige le Syndicat des métallos de la Zone. Résultat : neuf syndicalistes blessés, dont certains grièvement.
«Bras armé des armateurs»
«C’était la première fois qu’ils osaient nous attaquer aussi ouvertement. Pourtant, on savait que quelque chose était dans l’air. En août, en pleine période creuse, l’un de leurs responsables locaux s’est risqué à venir ici, dans la Zone. Il a tenu une réunion au cours de laquelle il a promis de nous détruire, de nous chasser d’ici», renchérit Thanassis Panagiotopoulos, lui aussi syndicaliste. L’homme qui proférait ces menaces en août, Yannis Lagos, député d’Aube dorée, est aujourd’hui en prison. Il fait partie de ceux qui ont communiqué plusieurs fois par téléphone avec l’assassin de Pavlos Fyssas, juste avant et après le crime. «Tout ça fait partie d’une stratégie : pour briser la résistance aux mesures d’austérité, il faut éliminer ceux qui se révoltent, il faut insuffler la peur. Tout le monde ici connaît les liens d’Aube dorée avec les armateurs et les grands industriels. Leurs réunions plus ou moins secrètes ont été révélées par la presse. Au Parlement, les députés fascistes votent toujours pour les armateurs, et sur le terrain, ils en sont le bras armé», affirme encore Thanassis.
Propos excessifs ? A la mi-octobre, une perquisition chez un armateur en fuite, soupçonné d’avoir favorisé la constitution du fameux arsenal que tout le pays recherche, a permis de découvrir un véritable petit musée à la gloire du nazisme dans une pièce secrète. Les enquêtes sur le financement d’Aube dorée, ouvertes après la mort de Pavlos Fyssas, auraient également confirmé l’implication d’au moins deux autres armateurs, sponsors réguliers des néonazis.
«Le monstre a fini par resurgir de sa tanière», soupire Dimitri Kousouris. Cet historien de 35 ans, spécialiste de la Grèce contemporaine, est bien placé pour analyser les racines du mal. Sa thèse, bientôt publiée en France, est consacrée aux collaborateurs grecs pendant la Seconde Guerre mondiale. Une période de l’histoire encore mal digérée en Grèce où, juste après l’occupation allemande, les horreurs du nazisme seront effacées par la violente guerre civile entre communistes et conservateurs. Bien des démons sont restés tapis dans l’ombre grâce à cette mémoire ambiguë. «Chaque camp a cultivé ses victimes. Ainsi la droite nationaliste commémore encore chaque année à Méligala, dans le Péloponnèse, les collaborateurs tombés sous les balles de la résistance communiste, laquelle a dû attendre 1981 et l’arrivée de la gauche au pouvoir pour être enfin reconnue officiellement comme le principal mouvement national de résistance à l’occupation», souligne Dimitri Kousouris, qui pointe le même processus d’amnésie pour la période plus récente de la junte des Colonels, au pouvoir de 1967 à 1974 : «On s’est contenté de juger quelques militaires accusés pour le coup d’Etat, pas pour la dictature. Et juste une épuration superficielle dans la fonction publique», rappelle-t-il.
«Les gens oublient le passé»
Mais pour le jeune historien, la mort de Pavlos Fyssas a réveillé des souvenirs plus personnels : il y a quinze ans, un soir de juin, lui aussi a failli mourir sous les coups des sbires d’Aube dorée. Lui aussi se trouvait dans un café, lui aussi était un symbole, jeune syndicaliste du mouvement étudiant, alors très mobilisé contre une réforme de l’éducation. Massacré à coups de bâtons et de pieux ce 18 juin 1998, il restera plusieurs jours entre la vie et la mort. Comme pour Pavlos Fyssas, la police prétendra d’abord qu’il s’agissait d’une bagarre entre jeunes liée au foot. Seul le chef de ses agresseurs, un jeune leader qui faisait alors figure d’étoile montante au sein d’Aube dorée, sera jugé : après sept ans de fuite, celui qui se faisait appeler «Périandros» en référence au tyran de Corinthe sous l’Antiquité se rendra de lui-même à la police. Le procès se déroulera sous tension, marqué par les menaces et les provocations des militants d’Aube dorée. Condamné à vingt-et-un ans de prison, Périandros n’en fera que quatre et sera libéré en 2009.
«Reste qu’en 1998, Aube dorée n’était encore qu’un petit groupe marginal. Aujourd’hui, c’est devenu un mouvement en pleine ascension, souligne l’historien. Il ne faut pas s’en étonner : dans cette période de crise extrême, la xénophobie, l’intolérance, la violence, qui sont diluées au sein de la société, se retrouvent exacerbées. Les gens oublient le passé et ne peuvent même plus imaginer l’avenir. Seule compte la survie au présent.»
Pavlos Fyssas avait un nom de scène : Killah P., pour kill the past («tue le passé»). Mais personne ne peut tuer le passé, il resurgit toujours au pire moment. «Le temps est venu d’avoir peur», avait prédit Nikos Michaloliakos, au soir des élections de juin 2012. Ce soir-là, un nostalgique des Colonels, admirateur de Hitler, venait d’entrer au Parlement.
http://www.liberation.fr/planete/2013/10/25/grece-aube-doree-contre-enquete-sur-un-assassinat_942403